LE TIRE-BOUCHON
Chacun des Maîtres connaît les neuf outils se rattachant
aux trois grades de la maçonnerie spéculative.
Mais il en est un dixième qui n'est jamais cité. Oswald Wirth, à travers tous
ses écrits, n'y fait même pas allusion, ainsi qu'aucun dictionnaire
maçonnique !
Or, que fait un Apprenti après avoir utilisé la règle, le maillet et le
ciseau ?
Que fait le Compagnon après avoir manié les nouveaux outils de son grade ?
Que fait le Maître après avoir reposé les siens ?
Et nous autres, mes frères, que faisons nous à chaque agape ?
Tout simplement, nous étanchons notre soif, cette soif
qu'il est important d'apaiser au risque d'amoindrir l'assurance de notre main.
Et comme le corps a des besoins que la raison seule ne
saurait satisfaire, la soif pouvant prendre brutalement le Maçon démuni et
qui, pauvre et dans la détresse, n'aurait pas eu en sa possession ce fameux
dixième outil tant négligé à travers les siècles, il se retrouverait
réduit au rang d'épave humaine.
Et en effet mes Frères, réfléchissons ? Essayez donc
d'ouvrir une bouteille avec un maillet, une équerre ou bien un compas ! Même
le G.O. de Belgique y a renoncé à ce qu'il paraît !
Non, je vous le dis ce soir, haut et fort, il faut faire
cesser au plus vite cette injustice et ce danger.
Aussi, rompant le privilège du Vénérable qui en
connaît l'existence, je vous propose d'introduire un nouvel outil, que
j'appellerai vulgairement le tire-bouchon, dans la panoplie maçonnique, et ce,
à tous les grades.
Ce tire-bouchon n'est en effet actuellement présenté
pour la première fois au nouveau V.M. qu'à l'issue de la cérémonie secrète
de l'installation lorsqu'il lui est proposé d'en faire immédiatement un usage
plus opératif mais restreint en présence des seuls Maîtres Installés avant
le retour des FF et SS sortis sur les parvis.
Mais de manière plus symbolique on représente ce tire
bouchon par le Tau inversé, pointe dressée vers le ciel en remerciement au
GADLU pour les faveurs dont il vient de nous combler.
Et ainsi, si l'on reconnaît le V.M. en loge à ce qu'il
porte l'équerre lorsqu'il est assis, on le reconnaît immédiatement encore
mieux, lorsqu'il se lève pour la première fois, aux trois Tau qui ornent son
nouveau tablier. Un pour le rouge, un pour le blanc, un pour le rosé. Ceci vous
avait-il donc échappé ?
Tire-bouchon vient du verbe "tirer" et du nom
"bouchon", qui en latin donne "bucco". C'est en quelque
sorte l'outil qui sert à extirper de son logement la parcelle de matière,
faite généralement de liège qui, d'un côté est au contact du liquide, et de
l'autre côté est à proximité de la personne qui fait l'action de tirer.
On situe mal l'invention du tire-bouchon. Mais
généralement, on l'attribue à l'observation de certains animaux proches du
porc, qui, de par leur partie caudale, évoquent la spirale que nous
connaissons.
Le génie humain consiste à rigidifier cette spirale en la rendant métallique
: ceci se déroule, à peu près, à l'époque du fer. Ainsi passa-t-on
insensiblement du tire-bouchon mou, au tire-bouchon dur.
Mais de longs et pénibles efforts, furent encore
nécessaires, pour rendre utilisable l'instrument ; il restait à inventer le
manche. Nul ne sait s'il fut inventé par un Frère, mais il est quand même
curieux de constater que l'angle formé par la verticale et le manche lui-même,
est un angle droit, soit 90° degrés ou le quart du cercle.
Avouez que tout cela est bien curieux, et qu'il ne peut
s'agir uniquement du fait du hasard. ?
Mais il est un autre aspect symbolique sur lequel je
voudrais insister qui est peut-être, à mes yeux, le plus important :
Repensez à la dernière bouteille que vous avez ouverte ?
Vous souvenez vous de la façon dont vous avez placé la pointe du tire-bouchon
? Vous l'avez placé juste au centre ; et ainsi placé il ne peut faillir.
Lors de l'ouverture de la bouteille, nous retrouvons là les 5 points parfaits
du sommelier : manche dans paume, doigts repliés, genoux contre bouteille, main
contre goulot, paume vers le sol : c'est dans cette attitude, et dans cette
attitude seulement qu'une bouteille peut être régulièrement ouverte.
Vous venez d'accomplir un geste remontant à la nuit de
temps, un geste assimilable, de par l'élément pénétrant (le tire-bouchon) et
l'élément receveur (la bouteille), au phénomène de l'accouplement et par la
même, de la procréation, rappelé en loge par la présence des deux colonnes B
et J, symboles lunaire et solaire, féminin et masculin, mais aussi évocatrices
du Bordeaux et du Juliénas.
Mais ne nous y trompons pas, le tire-bouchon est menacé,
tant par l'intégrisme que par le modernisme si nous n'y prenons garde. Déjà,
un ecclésiastique de la pire espèce, j'ai nommé Dom Pérignon, de par son
invention champenoise fit sauter les bouchons sans l'aide d'aucun instrument.
Est-ce de là qu'on assimile souvent la F.M. à un mouvement anticlérical, à
tort, nous le savons bien ?
Et puis, plus près de nous, la capsule qui ne nécessite
plus que l'usage d'un vulgaire levier, pire encore le pack qui ne nécessite
qu'un couteau ou une paire de ciseaux, voire la cannette en aluminium qui
s'ouvre sans aucun outil !
Non, mes Frères et mes SS, soyons vigilants, sachons
défendre tous nos instruments et en particulier le tire-bouchon, sans lequel
nous ne serions peut-être pas ce que nous sommes.