Le tronc d'une
Veuve
De ma propre cérémonie d'initiation, je n'ai conservé
que des lambeaux de souvenirs : le froid polaire du cabinet de réflexion, le
réconfort du troisième voyage, l'amertume du calice, le sourire des FF. dans
la lumière retrouvée, les décors rococos et le parler singulier des
dignitaires à l'Orient.
Mais je me souviens avoir pensé, ravi, que j'étais là,
exactement là où je devais être, en ce lieu et en ce moment où mon
imagination et la réalité se rejoignaient, sans que je sus dire laquelle, de
l'imagination ou de la réalité avait rattrapé l'autre: confusion des sens et
de l'entendement, confusion accrue par une profusion d'images insolites
stratifiées en un collage baroque d'où se dégageait - cerise sur le gâteau-
le tronc d'une veuve que le V M invitait à circuler.
Le tronc d'une veuve ! Pour qui a été nourri au sein de la
Victoire de Samothrace ou à celui de la Liberté de Delacroix guidant le
Peuple, le sevrage eût pu être fatal. Or au contraire, cette image ringarde et
burlesque, esquisse inattendue d'un symbolisme propice à la dérision, me
confortait dans l'idée première que j'étais bien là, exactement là où je
devais être.
J'imagine que de
nombreux FF et SS ont éprouvé la même sensation.
D'aucuns pourront plaisanter et se dire : "Avoir pris le
tronc de bienfaisance d'un Hospitalier pour le giron hospitalier d'une veuve, il
fallait qu'il fût barjot... déjà !"
je ne voudrais pas froisser les aimables railleurs en leur
rétorquant qu'ils ont une vision bien étriquée de l'ésotérisme maçonnique.
En effet, un apprenti, à qui l'on vient tout juste de passer le tablier dans le
but, lui explique-t-on, d'apaiser ses misérables passions, à qui l'on offre
des gants ou une rose en lui parlant de femme, comment ne pourrait-il pas être
séduit par cette forme allégorique de générosité qu'est le sein d'une
veuve?
La générosité, justement, parlons-en, car il serait
dommage de ne pas profiter de cette réflexion pour connaître les relations que
chacune des loges entretient avec son tronc de bienfaisance, du petit tronc
maigre et actif au gros tronc gras et spéculatif !
Et que dire des relations intimes et furtives qui
s'établissent entre chacun de nous et la fente de ce bastringue où avec deux
tunes, notre bonne conscience gagne quelques minutes de satisfaction ?
Entre gens bien, dit notre rituel, la générosité doit
demeurer discrète; c'est pourquoi le tronc est muet et ne dévoile jamais ni
nos largesses ni nos déficiences, quand par exemple, après avoir vidé nos
poches il ne nous reste plus que la pièce de 1 franc qu'on destinait au
parcmètre...
" Donner avec ostentation, disait Pierre Dac, ce n'est
pas très joli, mais ne rien donner avec discrétion, ça ne vaut guère
mieux". Ne pensait-il pas au tronc de la Veuve, notre F. Dac ?
Mais au fait, qui est donc cette Veuve dont on dit que nous
sommes les enfants et par laquelle nous descendrions tous d'un tronc commun ?
Avant qu'on y réponde, je voudrais faire ici une brève
digression : Que ceux... ou celles de ses enfants qui convoiteraient la veuve,
leur mère, dans je ne sais quel élan incestueux, prennent garde qu'on ne les
mêle aux "amants de la Veuve", ceux- là même qui regrettent le
temps béni où ils pouvaient renifler l'odeur de sang caillé sous les jupes de
la guillotine !
Après cette coupe brutale -mais qui est encore une affaire de
tronc- revenons à notre Veuve. J'en devine qui pâlissent : "Nous avons
juré de garder le secret sur les arcanes des grades auxquels nous avons été
élevés" . Certes ! Mais qui n'a pas encore compris que le secret maç.
n'était pas une question d'occultation, mais tout bêtement une question
d'incompréhension ?
Occulte la Veuve ! Occultes les symboles découpés,
saucissonnés, tronqués ! On peut toujours écouter... C'est autre chose,
d'entendre !
Entende qui peut !
TR c'est TR !
C'est toujours pareil, c'est un exercice d'équilibre. Entre
double sens, l'ambiguïté, et pourquoi pas le scabreux, il faut cheminer entre
le noir et le blanc, le coq et la chouette, sur le fil du rasoir.
Le Tr de la Veuve...! Le Tr de la Veuve...! Ça serait encore
le Tr. de la V. on aurait au mois l'illusion de la liberté, mais là...
Allez, un petit passage par le dictionnaire, histoire de
trouver le début du commencement d'une idée. Vous ne pouvez pas avoir idée du
nombre de mots qui commencent par Tr dans la langue. Dans le Petit Robert,
édition de 1984, entre la page 1993 et 2035, il y a pléthore.
J'ai renoncé. Trop c'est trop.
TROP C'EST TROP!
"Si trois points on enlève, c'est le voile de la V. qui se soulève, et
voilà ce qu'on y trouve :"
Récit d'une transfiguration trépidante.
Au cours d`un traquenard en trompe-l'oeil
-afin de tromper la mort- un Triton trucida le Trente-troisième
(mari) de sa belle maîtresse, la traîtresse.
Triton le traîne-la-patte la trimballa
sur son tracteur qui en allant tout de travers la transbahuta
vers un trouble tremplin.
Contrainte, elle dut alors sur le trottoir, faire du troc
avec son truc.
N'ayant plus rien dans son trésor, sans transition
mais toujours sur son trente et un, elle trima pour pas un rond,
même pas une tripette.
Bien tristounet le train-train quotidien
!
Tel un troupeau de tripatouilleurs, tous les
poltrons de la V , les trousse-jupons, trousse-chemises, et tous
les autres, sûrs de leur triomphe se partagèrent sans traîner
leur trophée !
Trop, c'est trop, transfilée jusqu'au trop-plein,
à force de transpirer sur le traversin, elle se tira, et tremblante
un tramway elle prit. Elle y rencontra... Désir ! C'était un frère de
son 33ème mari, un trappiste transplanté qui avait échappé au trépas.
Délaissant tous les tripots et les chemins de traverse...
sur son triporteur elle lui fit faire le trajet qui transcende.
A tous les jeux de tresse (c'était un ancien tresseur)
et de maîtresse, elle substitua un jeu d'adresse.
Au trictrac, elle opposa le "trou-madame". De quoi
s'agit-il ? C'est un jeu pour initiés bien triés : sur un tréteau
à arcades, treize petites boules doivent rouler jusqu'à leur trou. Pas de tricherie
possible, mais un long travail, transmission du secret...
(Comme ça on rejoint le truc...)
Plus tard, troublée mais Ô combien transfigurée
par ce transit plus tranquille, d'une voix sans trémolos,
elle traduisit le tracé vénérable d'une trajectoire sans
truisme... mais non sans altruisme.
A l'aide d'un treuil, elle fut transférée au
centre d'un triumvirat où elle reconnut Triton, Désir, et entre
eux tel un arbitre : le 33° ! L'avaient-ils vraiment trompée tous les trois
?
Traduite sur un trône surmonté d'un triangle,
elle détenait désormais en guise de trousseau (de clés) un trident
au tranchant en acier bien trempé.
Munie de cet attribut, elle ouvrit son trésor : il
s'était transmuté en tronc surprise, qui sans tambour ni trompette
se mit à tricoter, sans tricher, le trait d`union de la trinité
pour l'ÉTERNITÉ...
Veuve tronquée
Je suis tombé sur un vieil os, encore bon à croquer, je
vous invite à le briser entre nous, espérant que vous le trouverez à votre
goût et moelleux à souhait !...
Il faut bien avouer que du haut de ses trois ans, ne sachant
ni lire ni écrire, l'apprenti s'ennuie. Il songe rêveur à sa colonne sans
vie, trop inactive au regard de ses nobles et juvéniles aspirations.
Or, trois ans, ce n'est plus l'âge de l'insouciance mais
bien celui des premiers tourments psychoaffectifs, notamment de ceux que N T Ill
F Sigmund FREUD identifia et désigna sous l'appellation de "Complexe
d'Oedipe".
Aussi, c'est sous un éclairage psychologique qu'est
entreprise cette étude du tronc de la Veuve ; un sujet brûlant, en fait, que
nous avons voulu saisir à bras le corps et sur lequel nous avons décidé de
nous étendre, à nos risques et périls il est vrai, mais aussi et surtout pour
notre plus grand plaisir, ça va sans dire !
Tout m'incline à croire qu'il existe bel et bien un complexe
d'Oedipe Maçon qui, de façon inégale, certes, nous affecte tous néanmoins,
sans exception. Il concerne non seulement tous nos jeunes apprentis, initiés de
fraîche date, mais également tous ces vieux apprentis en l'âme, fiers de
l'être et qui, prenant régulièrement leur cas pour une généralité,
entonnent allègrement le fameux refrain qui dit qu'ici "nous sommes tous
des apprentis"...
Pour ma part, j'affirmerai d'emblée qu'ils n'ont pas tout à
fait surmonté leur complexe "d'Oedipe Maçon".
Sans jouer à l'Oracle de Delphes, quoi que...
Sans endosser le déguisement du Sphinx, bien que...
Sans interpréter le rôle spécieux d'un certain Créon,
encore que...
Comme vous le savez, le légendaire Oedipe ôta délibérément la
vie à un homme qui s'avéra être son père, Laïos, Roi de Thèbes. De
surcroît, il coucha avec sa mère, Jocaste, qu'il avait épousée tout en
acceptant le trône du défunt roi car telle était la récompense ingénument
offerte par l'oncle Créon, à quiconque vaincrait, pour de bon, le Sphinx
dévoreur de Béotiens... Ce faisant, Tonton Créon ignorait qu'il plongeait la
main de sa soeur sous la fustanelle d'un aventurier qui n'était autre que ce
fils parricide qui, non content de l'avoir réduite à l'état de veuve
éplorée, lui ôtait incestueusement toute vertu et la condamnait
irrémédiablement au suicide !... Que vaut en pareil cas l'excuse "Je ne
l'ai pas fait exprès" ?
Sans doute existe-t-il de bien subtils mystères qui
échappent encore à nos sens ordinaires... Il est bien un domaine où l'aveugle
peut voir du bleu dans le noir, au tréfonds de lui-même... Ne t'évite pas, ne
t'évite pas, ne t'évite pas... Connais-toi toi-même !
Reprenons notre analyse. Résumons :
D'abord, en perdant Laïos, Jocaste perdit donc sa moitié et
devenait ainsi, comme je viens de l'expliquer, une "veuve tronquée".
Mais ça, c'est une fausse piste, juste une galéjade pour égarer un peu tous
ceux qui se baladent et viennent gentiment nous visiter en touristes ! Car la
Jocaste, ne l'oublions pas, elle se retrouva tout entière dans les bras de son
Oedipe maudit. Elle était alors si bien constituée qu'elle parvint à lui
donner quatre enfants, pour moitié fils ou filles et à demi frères ou
soeurs...
Dès lors que fut totalement consommée cette union immorale,
découvrant avec stupeur son abjecte situation matrimoniale, Jocaste, on le
conçoit, défaillit aussitôt...
Cela lui coupa les jambes, les bras lui en tombèrent, bref,
elle finit, naturellement, par perdre la tête !
Et c'est ainsi qu'à jamais, d'elle il ne devait nous rester
que le tronc, le Tronc de Veuve...
Voilà, ayant désormais planté le décor, nous allons
pouvoir enfin pénétrer dans le vif du sujet et nous l'approprier très
maçonniquement.
Tout d'abord, puisque le tronc nous reste, malgré l'horreur que cela nous
inspire, surmontons notre dégoût et ne perdons pas nos moyens... Même si
durant quelque temps nous demeurant sans Voie, nous perdons la Parole, sans
hésitation, donnons, donnons, donnons... et, par exemple, tentons par
tâtonnements successifs, par quelques attouchements appropriés, de redonner
vie à ce Tronc de la Veuve... Que par les Trois Points de la F M active y soit
ravivée la flamme de la féminité ! Sur cette obscure clarté qui nous vient
de la Lune et qui tombe aussi des Étoiles, levons un coin du voile afin que par
elle nous soyons enfin totalement éclairés.
Il est grand temps de nous interroger : de ce Tronc de
Veuve que pouvons-nous, que devons-nous donc faire ?
C'est évidemment au plus hospitalier d'entre-nous qu`est traditionnellement
confié le Tronc mutilé et exsangue de la Veuve .
Notre Garde des Eaux, j'entends par là le conservateur des
liquidités occultes de notre R L (qu'il ne faut d'ailleurs pas confondre avec
le Garde des Sceaux qui est, quant à lui, très officiellement habilité à
tout tamponner), le bien nommé F. Hospitalier veille donc affectueusement sur
le Tr de la V.
Le gardant par dévers lui, toujours à portée de la main,
il en caresse du regard les aimables rondeurs, dans le secret espoir que cet
aimant de nos bourses stimule activement les élans de nos coeurs... Il est le
Tonton Créon, évoqué plus haut, qui propose complaisamment sa "Jocaste
tronquée" à chacun d'entre-nous ; nous qui sommes autant de joyeux
initiés victorieux du Sphinx !
Mais force nous est cependant de constater qu'à l'instant
où va s'interrompre le travail, le Tr de la V n'est gros, que dis-je gros !...
n'est guère perfusé que par les jets sporadiques et parcimonieux de nos
bourses, à l'évidence plutôt plates...
UN
TRONC, DES BOURSES...
UN
PACS !
Vous avez tous déjà remarqué que notre
V.M. est toujours le premier sollicité au passage du Tr. de la V.. Il est donc
le premier à faire acte de générosité lors de cette brève quête
exotérique à l'issue de laquelle il lui est à nouveau proposé de disposer
librement du Tr. de la V.. Sans hésitation, il s'empare aussitôt, ouvertement
et sans retenue, à seule fin de récolement, affirmant ainsi une volonté de
total abandon et d'oubli de soi : il ne saurait violer ou s'approprier pour un
usage exclusif ce Tr. de la V., au demeurant plus attractif qu'au
départ...
Il faut dire qu'un tel comportement, exceptionnel chez un
profane, n'est au sein de notre institution qu'une pratique assez courante,
conforme au rituel, et contre laquelle apparemment aucune proposition n'a jamais
été formulée avec succès.
Cela d'autant moins que le Sac aux propositions ignore avec
une parfaite indifférence ce Tr. de la V. auquel il tourne le dos depuis
toujours, le précédent bouche bée, non sans cérémonie d'ailleurs, menant
prétentieusement sa vie de célibataire, oui, je dis bien
"célibataire" puisqu'il revient le plus souvent "vide et sans
attache", ce qui ne lui interdit pas de se livrer parfois à une béante et
perverse concurrence qui l'entache occasionnellement de quelques fâcheuses
méprises.
A mon avis, il faudrait davantage de solidarité au sein de
ce couple disparate que constituent le Sac aux Propositions et le Tronc de la
Veuve.
L'un étant plutôt réceptif actif et l'autre réceptif
passif, une sorte de PACS symbolique pourrait les unir et harmoniser davantage
leurs rôles respectifs.
En toute logique, le Sac aux Prop. devrait, si je puis dire,
emboîter le pas au Tr de la V , surveillant ainsi ce qui constituerait
désormais "son petit trésor", tout en demeurant disponible pour
accueillir, quant à lui, toutes suggestions utiles, voire juteuses et nous
incitant, par exemple, à user de ce nerf que constitue en soi le contenu réel
de nos bourses pour féconder au mieux, par l'entremise du Tr de la V , la Terre
des Hommes, au lieu d'y financer encore quelques dévastations guerrières...
Nous devons honorer sa fente hospitalière
dans laquelle chacun peut et doit déposer, selon ses moyens, mais sans retenue
ni fausse pudeur, comme une semence sacrée, un peu de son blé et, surtout, un
peu de son coeur...
Ce Tr. de la V., c'est aussi Coré, oubliée
aux enfers, qu'il nous faut arracher à l'emprise d'Hadès et ressusciter aussi
afin que tous ensemble nous puissions chasser les rigueurs de l'Hiver et
célébrer, comme il se doit, la douceur du Printemps, la chaleur de l'été...
Hommes, sachons ne point précipiter la venue de l'automne...
le rosier, sans fleurs, s'effeuille d'ennui et se réduit à ses tristes
épines, quant à la fleur que nul ne cueille et que rien ne butine, tandis que
s'atrophie son coeur et se fanent les couleurs de sa robe inutile, elle se meurt
plus stérile que le désert, plus froide que
l'hiver...
Tant il est vrai qu'en effet nous ne recevons que si nous
savons donner !
Retour
Haut de page